INTERVIEW : Nur Jaber – la techno entre Beyrouth et Berlin

De Beyrouth à Berlin de nombreux critères semblent éloigner les deux villes, pas moins de 4000 kilomètres et pourtant une chose les relie, une artiste : Nur Jaber.  Après avoir grandi au Liban, c’est en 2010 que Nur Jaber emménage à Berlin et trouve sa voie dans la musique, puisant ses inspirations dans son vécu. Puissante et profonde, sa musique semble être une prise de position forte où Nur Jaber parle des conditions de vie au Liban à travers des sonorités, des mots mais aussi des visuels. Après quelques EP, c’est surtout « Weapons Of Mass Destruction » sortie sur son label OSF en 2017 qui marque les esprits et véhicule cette image de techno culture où l’amour de la vie et les raves prolifèrent.  En plus d’être à la tête d’un label, Nur Jaber est aussi résidente aux événements mensuels « STAUB » qui ont lieu à l’About Blank à Berlin. Après avoir séduit le public berlinois, c’est au tour d’autres villes comme Amsterdam, Nantes et surtout Paris où elle jettera son dévolu. À l’occasion de son passage à Concrète vendredi 15 décembre, Nur Jaber a accepté de revenir sur son parcours à travers quelques questions.

Tu fait partie de ces artistes entre l’Europe et le Moyen-Orient où la scène électronique n’est pas encore très prolifique. Comment la musique est-elle venue à toi? As-tu toujours été intéressé par la scène techno ou y a-t’il quelqu’un ou quelque chose qui t’as entraîné dedans ?  J’ai été plongé dans la scène techno lors de ma première venue au Berghain en 2010 et à ce moment là, je ne connaissais pas vraiment ce genre de musique. Ça m’est venu à ce moment là, j’ai su que je voulais en faire partie, ça m’a donné le sentiment le plus puissant auquel j’ai pu être confronté.

Il y a une forte scène métal et rock à Lebanon et d’une certaine manière vous avez tout deux une certaine colère à exprimer et un message à faire passer. Est-ce que c’est cette scène qui t’a donner envie de véhiculer une musique politique? J’ai commencé la musique avec la batterie, plutôt metal et rock, quand j’avais 14 ans et honnêtement je ne ressentais pas de colère à ce moment là. Cela devait être dû à mon jeune âge puisque je ne pouvais pas réellement comprendre ce qu’il se passait. Et c’est seulement quand j’ai quitté Beyrouth pour Berlin que j’ai compris que l’environnement politique dans lequel j’ai grandi m’a énormément affecté et cela se retrouve dans ma musique aujourd’hui. D’une certaine manière, je me guéris en expiant ces sentiments dans ma musique et en lâchant prise.

Pourrais tu nous décrire une journée typique de production ? Quel logiciel utilises-tu ?  J’ai un emploi du temps hebdomadaire que je me fais tous les dimanches pour organiser au mieux mon temps. J’ouvre ma collection de samples pleine de sons que j’ai enregistré ou collecté via divers films dans le mois puis je commence a jouer avec le pitch et j’ajoute quelques effets. Ensuite je continue avec une boucle de percussions, qui peut aussi bien provenir de sample que j’ai enregistré que de ma Roland TR09. Ma partie favorite arrive ensuite quand j’ouvre mon Nord Lead 4 pour ajouter quelques clés, synthés et notes qui peuvent donner cet aspect spatial et émotionnel à une track. Actuellement j’aime vraiment cette machine, j’ai aussi la Roland TB03 et un sampler Korg ESX. Donc je continue avec cette boucle, et à la fin j’ajoute quelques vocales ou cris.

Aujourd’hui tu vis à Berlin mais tu continues de parler de ce qu’il se passe au Liban dans ta musique notamment ton dernier EP “Weapons of Mass Destruction” sortit sur ton label le 8 septembre. Est-ce que tu continues d’aller régulièrement au Liban? Comment dirais-tu que la scène électronique a évolué depuis quelques années ? Oui, évidemment, je vais toujours au Liban puisque toute ma famille vit là-bas. Généralement j’y vais vers Noël et le Nouvel an ou l’été pour profiter de la plage et du soleil. La scène électronique est clairement en train de bouger : il y a plusieurs promoteurs qui invitent des artistes techno mais la communauté n’est pas si grande contrairement à d’autres villes où plus de 400 ravers viendront à ta soirée même s’il n’y a pas de coin VIP ou de tables avec bouteilles. C’est vraiment petit pour le moment et il faudra un peu plus de temps, mais ce qui est sûr c’est que c’est en train de bouger.

De quelle façon Berlin t’as inspiré ? Après plus de 7 ans dans cette ville, ne ressens-tu pas le besoin de changer d’horizon? Berlin a été une telle inspiration pour moi que ce soit en tant que personne ou en tant qu’artiste. Cela me pousse constamment à faire plus car la vibe de cette ville est magique. Après évidemment je viens du Moyen Orient, et le soleil et la mer me manquent tous les jours un peu plus. Il fait très froid à Berlin mais cela peut parfois aider à rester enfermer chez soi pour faire de la techno (rires).

Peux-tu nous parler de ta résidence aux événements Staub, comment cela s’est passé ? Le collectif a été comme une famille pour moi pendant 3 ans. J’ai commencé la techno avec eux puisqu’avant ça je jouais plus deep & tech house. Je leur ai envoyé un de mes sets en 2015 et ils m’ont invités à jouer le mois d’après. Après mon deuxième gig là-bas ils m’ont proposé de devenir résidente et je m’y suis sentie bien dès le début. Les gens derrière ce collectif sont juste incroyables et pleins d’énergie.

Tu as lancé ton label OSF « On s’en fou » en 2015  sur lequel tu as déjà sortit quatre EP dont deux en vinyle. Le dernier « Salvation » sortit le 27 novembre comporte des tracks de Cressida avec deux remix de Endlec et Matrixxman. Toi qui a réussi a te faire un nom, as-tu des projets pour mettre en valeur la scène locale du Liban? Autrement quels sont les autres artistes avec qui tu souhaiterai collaborer ? Actuellement je suis vraiment focus sur le label et j’essaie d’y faire de belles sorties. Il va y avoir pas mal de grosses sorties l’année prochaine et je suis vraiment heureuse d’avoir le soutien de mes amis là dessus. Je pense que 2018 sera une belle année. J’écoute toujours des promos mais depuis le début je n’en ai reçu aucunes d’artist(e)s Libanais(es), ou peut-être juste une!

Avec ton label tu es aussi en étroite collaboration avec ta soeur qui dirige une marque de mode « Exocet » basé sur l’impression 3D. Peux-tu nous parler des vos projets ?  En fait,  OSF est une collaboration entre moi et ma soeur, qui est l’artiste visuelle derrière Beauty&Machines. D’autre part, on travaille aussi avec « The Beholder » qui nous aide sur les divers photographies et visuels du label ainsi que nos derniers événements au club Gate 9.

Il y a quelques clubs qui accueillent de gros noms comme Überhaus, BO18 ou Gate 9. Y a t-il une scène plus underground et secrète là-bas comme on peut le voir à Berlin ? Il n’y a pas vraiment de scène secrète et underground chez nous mais plutôt des événements en comité restreint qui proposent un line-up underground.

Tu as déjà joué en France quelque fois, comment te sens-tu face à l’ambiance parisienne ? Chaque fois que je joue en France je repars avec un grand sourire et plein d’énergie. J’espère vraiment pouvoir y jouer plus souvent et pourquoi pas pouvoir jouer en peak time pour que je suis puisse vraiment envoyer du lourd !

Et pour finir, quels sont tes projets pour 2018?  En Mars je sors mon premier album qui contient quelques remixes de mes artistes favoris et je suis vraiment très impatiente. A côté il y aura aussi une autre sortie d’un artiste français émergent que j’ai découvert récemment. Et bien sûr, j’espère continuer de voyager, rencontrer des artistes et fouler de nouveaux dance floors!

 

 

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English Bellow


Hi, Thank you again for answering our questions! You’re a middle-eastern artist, a place where the electronic scene isn’t really prolific. How did your interest begin? Have you always been interested by the techno scene or did someone or something foster your interest? Nice to take part! I got into the techno scene after my first visit to Berghain in 2010. I didn’t know what this genre of music was before I entered the club. It got me then and there, I knew I wanted to be a part of whatever this was, that gave me the strongest feeling ever..

There is a big metal and rock scene in Lebanon and, in a way, you both have an anger to express and a message to deliver. Did this scene give you the desire to bring a political aspect into your music ? I started as a rock & metal drummer when I was 14 and honestly I didn’t really feel the anger back then. Maybe it was because I was still too young to understand what was really happening around us back then. It was only till I left Beirut and came to Berlin that I felt how strongly I was affected by the political environment back home.. And yes, it’s naturally been coming out in my music. In a way I am getting healed through releasing it in the music and just letting it go.

Could you describe a typical production day for you? What software [and hardware] do you use? I have a weekly schedule that I put for myself every Sunday evening to get the best out of the time I have. I open my samples collection folder of the things I’ve recorded or collected from movies that month and start to play with the pitch and add a few effects, then I continue with a drum loop, it could be from samples I have recorded as well or from my mini TR09 by Roland. My favourite part comes in when I open up my Nord Lead 4 to add a bit of keys, synths, glitches or anything on there that is spacey and emotional. I’m loving the Nord at the moment. I also have the TB03 from Roland & a Korg ESX sampler.. So I just keep going with that loop and at the end finish it up with a few vocals or screams.

Today you live in Berlin but you’re still talking about Lebanon in your music, including your last EP « Weapons of Mass Destruction » released on your own label on September 8th. Do you still go in Lebanon? How could you describe the evolution of the electronic scene over there ? Yes I still go to Lebanon! My whole family lives there. Mostly it’s during christmas & new year time and usually summer to catch a bit of beach & sun! The electronic scene is definitely moving forward. There are a few promoters that are inviting a lot of techno acts to come and play but there isn’t such a big techno fanbase like other cities where 400 and more dancers will show up to your party knowing that there is no table or bottle service..It’s really small and it still needs a bit more time, but we are moving there that’s for sure.

How did Berlin inspired you ? After seven years in this city, do you feel like you need to have a break or discover new horizons? Berlin has been such a great inspiration and experience for me as an artist and as a person. It keeps pushing me to do more and more. The vibe in the whole city alone is magical. Of course being from the middle east I do miss the sun and sea every day more and more. Berlin’s cold is too much sometimes but it can help in inspiring you to stay indoors and make techno haha

Can you speak about your relationship with the Staub Collective ? How did it happened ? Staub has been a family to me for 3 years. I started my whole techno journey with them, before that I was playing more deep & tech house. I sent them a set of mine around 2015 and they invited me to play the next month. After my second gig there they offered me a residency, it just felt right from day one! The party and the people behind it are full of energy and magic.

You launched your own label « OSF : On s’en fout » in 2015, where you released 4 EPs, including two pressed vinyl records. The last EP, « Salvation », released on November 27th includes tracks from Cressida with two remixes from Endlec and Matrixxman. Since you have succeeded in making a name for yourself, have you planned to spotlight the local scene in Lebanon? If not, who would you like to collaborate with ? At the moment I’m mainly focusing on the label and trying to bring in strong releases. There’s a big wave of artists coming in next year and I feel really happy to have great support from friends. 2018 will be a nice year I think. I am always listening to promos and so far I have not received anything from Lebanese artists, maybe just one!

Alongside your label, you’re collaborating with your sister’s fashion brand « Exocet ». Can you tell us some things about it ? Actually OSF is a collaboration between me and my sister who is the visual artist behind Beauty&Machines. We also work closely with ‘The Beholder’ who helps with some of the photographs & visuals for the label and the past parties at our club Gate 9.

There are a few nightclubs in Lebanon like Überhaus, BO18 or Gate 9. Is there another scene more secret and underground as we can see in Berlin? There is not really a secret or underground scene but there are smaller parties happening that are bringing in underground lineups.

You already played several times in France, how do you feel about the Parisian atmosphere ? Every time I play in France I leave with a big a smile and a lot of energy. I hope to play there more often and maybe get a main slot some time where I can really bang it out

And finally, what are your projects for 2018? I’m releasing my first album in March that will be followed by a nice remix package vinyl from some of my favourite artists in the scene, really looking forward to that! Also there will be another release on the label by a new french artist that I got to know recently. I hope to keep traveling the world and meeting more and more dance floors!